J'ai envie de dire que le problème (et ta réponse) se trouve un peu dans ta question : le cinéma d'auteur, en principe, ce n'est pas un genre, ni même un type spécifique de film. Je m'explique...
Autour des années 60, le cinéma a connu une série de nouvelles vagues (45-50 en Italie, 55-60 en France, 60 au Japon, 65 environ dans le reste de l'Europe et en Amérique du sud, 70 aux USA). Arrivés au début des années 80, la plupart des pays ont du faire un choix, suite à l'avènement de réalisateurs qui arrivaient à se passer du système des studios. Les USA ont opté pour garder un public commun : les auteurs d'alors (Scorsese, Coppola...) se sont vu offrir les moyens de faire de grands films populaires artistiquement forts. En France, on s'est résolu à une sorte de séparation, dans un refus du compromis qui peut aussi se comprendre.
Précision, tout de suite, avant de continuer : "auteur" c'est un terme souvent mal compris qui désigne un cinéaste qui imprime sa marque sur son film par la réalisation. C'en est "l'auteur" parce que c'est sa mise en scène qui fait que ce film est celui-là et pas un autre, qu'il est bon ou mauvais ; ça n'a rien à voir avec la popularité d'un film, ni son budget, ou encore le fait de l'avoir écrit soi-même (à l'époque ou le terme a été inventé, c'était même plutôt le contraire, vu qu'on utilisait le mot "auteur" pour parler d'Hawks ou d'Hitchcock).
Retour à la France des années 80 : le système de financement du CNC (qui permet à la plupart des films sérieux et travaillés d'exister, même sans promesse de rentabilité) est une chance mais aussi un piège : les auteurs se sont enfermé dans un système de production fauché alors que le cinéma populaire est tombé sous le pouvoir des télévisions. Depuis, un film populaire (et donc cher) ne peut avoir de l'argent qu'a condition que la chaîne qui va le diffuser y mette le prix. Mais ca impose un nivellage : tout ce qui ne peut pas passer en primetime à 20h30 est proscrit. Au delà de cette censure, ça amène aussi une esthétique liée à la vision décousue qu'on peut avoir d'un film à la télévision : pas de structure trop compliquée, une narration qui doit surtout se baser sur le dialogue, pas trop d'importance donnée au son, un travail de la lumière qui doit avant tout donner l'avantage à la lisibilité, etc. Ca a donné les comédies nulles dont tu parles, car elles peuvent utiliser la popularité des comiques venus de ces même TV tout en s'adaptant aux normes plates que demande ce genre de case. De l'autre côté, le reste du ciné français, comme en réaction à ça, a affiché sa différence de rythme, de narration, de durée, parfois jusqu'à ce que ça devienne de la pose arty : c'est l'explosion des auteurs français des années 90, et ca a profité à très peu d'entre eux au final.
On en arrive donc à une absurdité : Jean Paul Salomé, qui a fait trois films ET nuls (Belphégor, Arsène Lupin...) ET impopulaires (ce sont des bides), n'a aucun mal à trouver de budget pour son prochain. Pourquoi ? Parce que c'est un réalisateur qui rentre dans les exigences TV. Les deux univers sont cloisonnés, les réalisateurs talentueux se dépétrant dans des films de plus en plus pauvres et arides, les films populaires étant entre les mains de cinéastes formatés.
Revenons-en maintenant aux genres.
Ce qu'il faut savoir, c'est que la France a déjà fait du cinéma de genre, et très très tôt : Abel Gance a fait du film historique, Jean Epstein du film fantastique... Bien plus tard, Melville est devenu un maître du genre policier, Franju d'un certain cinéma d'horreur... Ce n'est donc pas incompatible avec le cinéma français (parce que le but, je crois qu'on s'entendra là-dessus, n'est pas de photocopier le cinéma de genre d'Amérique ou d'ailleurs, mais bien de créer un cinéma de genre propre au cinéma Français). Cependant, on voit bien que les quelques essais de films de genres français actuels donnent des films froids, démotivants, comme vidés de toute portée : c'est normal, leurs réalisteurs, très fans, ont pour seule ambition de faire "un film de genre" - ce qui est une absurdité ! On fait pas un film POUR faire un film de genre, ce n'est pas la démarche ni le fantasme qu'avaient les réals de films de genre de l'époque, en France comme aux USA.
Si tu regardes comment les genres américains sont nés, que voit-on ? Que ca n'était pas le but du tout au départ. Le cinéma d'horreur US par exemple... Tu as un vague courant gothique dans les années 20, et soudain deux réals, Tod Browning (Dracula) et James Whale (Frankenstein) qui à eux deux posent toutes les règles du genre. Or ces deux types ont fait autre chose que des films d'horreur dans leur carrière : c'est parce qu'ils sont des auteurs, de vrais réalisateurs, qu'au contact d'un pseudo-type de films ils ont créé un vrai genre, sans même le chercher ! Deux réalisateurs simplement inspirés de ce qui se faisait de meilleur à l'époque, c'est à dire le cinéma expressionniste qui n'avait rien à voir avec quelconque genre. Ils ont créé le genre parce que leur films étaient... bons ! C'est aussi bête que ça.
Et de même pour tout le reste : c'est "La chevauchée fantastique" de Ford, un film seulement, qui a réellement lancé tout le western ; c'est Busby Berckley et lui seul qui a inventé la comédie musicale ; c'est Capra et Lubitsch qui ont créé la sacro-sainte comédie hollywoodienne et tous ses codes pour 30 ans, alors que les deux ont fait d'autres films complètement différents (des drames historiques, des mélos, bref).
Là où je veux en venir, c'est que tant que l'ascenceur ne fonctionnera pas à nouveau en France, tant que Desplechin (au hasard) n'aura pas les moyens (et un climat favorable) pour faire un grand film populaire largement distribué, il n'y aura pas d'émulsion, aucun genre ne pourra renaître correctement, de façon forte et non artificielle. Il y a des trucs en germe pourtant : regarde "Trouble Every Day" de Claire Denis. C'est un film un peu difficile, mais c'était une proposition de film d'horreur passionante, qui aurait pu lancer un genre vraiment français, de film d'horreur français : si on avait eu à l'époque des auteurs à la tête des studios, on aurait probablement eu 10 films d'horreur géniaux et inspirés dans la foulée, et le genre aurait été lancé. Ce qui manque c'est simplement ce souffle !
Le plus bel exemple c'est l'Amérique : les plus gros budgets là-bas c'est Shyamalan, Mann, Spielberg, Burton, Gondry... tous ces auteurs BONS que les studios ont choisi parce qu'ils étaient BONS, et qui à quelque concessions près (un rythme plus soutenu, surtout) travaillent sur les plus gros projets sans qu'on leur mette trop de bâtons dans les roues. On oublie souvent que George Lucas, à la base, est un réalisateur de films expérimentaux : et bien résultat, on a après ça une trilogie de science-ficiton dont la pensée de montage a influencé tous les monteurs du monde (petits films indépendants comrpris) pour 20 ans ! Tant qu'on osera pas proposer en France aux réalisateurs audacieux de travailler sur de gros films (qui le fait actuellement ? Jeunet à la limite, mais il est produit par la Warner a présent), le film de genre français ne pourra jamais renaître - et le cinéma "d'auteur" restera alors ce "genre" bâtard qui n'en est pas un, mais qui n'est que le signe que de bons cinéastes se résignent à un public restreint et à une forme difficile par la force d'un contexte de financement schizophrène.
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